mardi 19 octobre 2010

Solipsiste piégé...

Venons-en, chez Wittgenstein, à cet aspect tragique du Tractatus, dont l'un des principaux acteurs est le solipsiste, qui ne peut envisager de possibilité d'existence hors de lui-même, qui fabriquerait une montre dont l'aiguille tournerait en même temps que le cadran. "L'atmosphère qui enveloppe ce problème est terrifiante. D'épais brouillards de langue entourent le point problématique. Il est à peu près impossible de se frayer un passage jusqu'à lui." [1] Ce faisant, le sujet (métaphysique) apparaît comme un noeud de convergence, que reflète le miroir du langage, dépourvu d'autre support. On retourne là aux préoccupations du personnage de Virgile chez Hermann Broch, perdu par l'entrereflètement. Deux éléments "sûrs" subsistent, deux qui ne font qu'un : le miroir et le reflet. On tombe dans le piège de la tautologie. "Le solipsiste bat des ailes, il bat des ailes dans la cloche à mouches, il se heurte aux parois, il bat des ailes de nouveau. Comment faire pour le calmer ?" [2] Pour sortir de cette image suicidaire, d'aucuns inventeront un double et deviendront victimes d'une forme de schizophrénie, si fréquente chez nos auteurs autrichiens au tournant du XXème siècle. L'image du solipsiste retrouve le mythe d'Orphée et son retournement, comme si le héros, animé d'une ardeur tenace, était convaincu de son pouvoir d'avancer sans fléchir : "Le philosophe solipsiste, commente Ernst Mach dans l'Analyse der Empfindungen, me paraît imiter l'homme qui a perdu l'habitude de se retourner, parce que ce qu'il voit n'est toujours en somme que son devant". [3] Il a peur du gouffre qui s'ouvre en permanence derrière lui, un peu comme le personnage qu'évoque un précurseur de Wittgenstein, Fritz Mauthner, - personnage gravissant une échelle et brisant l'un après l'autre les barreaux qui servent à son ascension. Car la mouvance du connu ne s'arrête jamais, non pas tant pour ce qui est du domaine usuellement qualifié de "scientifique", mais, pire encore, pour les choses les plus banales qui soient : "Il est incontestable qu'en un certain sens la proposition “Il y a là un livre sur la table” ne comporte pas de procédure de vérification stricte, qu'elle “se laisse, pour ainsi dire, toujours une porte de derrière ouverte”" [4] . Si une telle proposition ne peut être intégralement vérifiée, laquelle pourra l'être ? Par rapport à cette situation périlleuse, l'Orphée qui se retourne apparaîtra comme le transgresseur, le contrevenant, le fautif en somme.



[1] Wittgenstein, L. - Notes sur l’expérience privée et les “ sense data ” ; texte établ. par Rush Rhees, trad. de l’anglais par Elisabeth Rigal. Mauvezin : Trans-Europ-Repress, 1989 (Coll. T.E.R. bilingue) p. 36

[2] Ibid., p. 28

[3] Mach, Ernst. - Die Analyse der Empfindungen und das Verhältnis des Physischen zum Psychischen, 5. verm. Aufl., Leipzig-Jena, 1906, p. 293

[4] Bouveresse, Jacques. - Le Mythe de l'intériorité : expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein. Thèse d'Etat, Paris I, Dir. Yvon Belaval, 1975, p. 253 et : Waismann, F. - Ludwig Wittgenstein und der wiener Kreis ; notes publ. par B.F. McGuinness. Oxford : Blackwell, 1969, p. 47

dimanche 26 septembre 2010

À qui la faute ?

En réduisant le Moi et le monde à une masse homogène d'éléments concaténés, Ernst Mach a établi l'existence d'une réalité monistique unissant ces deux entités. Pour Fritz Mauthner, cette réduction à une harmonie transparente était souhaitable mais illégitime. Il était sceptique par rapport à la confiance que l'homme pouvait manifester à l'égard d'un monde stable d'objets et au sentiment qu'il était susceptible d'éprouver, d'être lui-même une entité autonome : "So müssen wir mit der Möglichkeit rechnen, daß auch das Ichgefühl nur eine Täuschung sei..."[1]. Là réside l'origine de la "crise" ; l'angoisse fondamentale qui va susciter un comportement schizophrène : si je n'existe pas, il faut que je crée une autre (en est-ce bien une autre ?) personnalité. Si l'étalon disparaît, si les repères n'existent plus, je me comporte comme une bête traquée, à cette particularité près que je suis traqué par le rien, ou, qui pis est, par moi-même. Et la seule manière de supprimer cette image qui me séduit sans cesse dans le miroir qui m'entoure, ne serait-elle pas le suicide...? Le miroir, c'est justement la jungle des mots, celle qui étouffe le Virgile de Hermann Broch dans l'entrereflètement permanent des situations, celle-là même qu'évoque Mauthner : "Wir aber haben erfahren, daß Worte nicht Bilder geben und nicht Bilder hervorrufen, sondern nur Bilder von Bildern von Bildern." (t.1, p.108) On retrouve là, mutatis mutandis, le schéma de la "position de position" de Broch.

L'usage d'un mot varie en fonction de la sensation que l'on éprouve à un moment "M", le moment où le mot est utilisé. Cet usage est toujours approximatif, il est toujours d'une valeur "epsilon" par rapport à la "valeur canon", à la "valeur étalon" du mot. Cette conception du changement de la valeur a cependant toujours respecté une échelle de continuité entre l'usage proprement dit du mot, les associations qu'il a évoquées, et les sensations ou perceptions auxquelles il s'est initialement appliqué. En dernier ressort, la signification du mot dérive de sa relation avec l'expérience qu'a le Moi de la réalité. Il n'a pas simplement la valeur artificielle d'une unité de compte dans un jeu, d'un Spielmark. Ce dernier est censé avoir une valeur uniforme, universelle, transparente à l'ensemble des membres d'une communauté linguistique.

Toutefois, bien que les deux conceptions du langage, en tant que "Bilder von Bildern von Bildern" d'une part, et que collection de "Spielmarken" d'autre part, aient eu des conséquences très différentes sur le plan de la relation entre les mots et l'expérience fournie par les sens, Mauthner les a utilisées l'une comme l'autre pour anéantir la croyance en un langage qui pourrait nous donner la clef de la connaissance de l'univers. Mauthner insiste sur l'incapacité fondamentale qu'ont les mots de nous autoriser à pénétrer le coeur de la vérité "weil die Worte nur Erinnerungszeichen sind für die Empfindungen unserer Sinne und weil diese Sinne Zufallsinne sind, die von der Wirklichkeit wahrlich nicht mehr erfahren als eine Spinne von dem Palaste, in dessen Erkerlaubwerk sie ihr Netz gesponnen hat." (t.3, p.650)

Jetons de jeu abstraits et inertes, ou facettes trompeuses d'un palais des glaces, les mots eux-mêmes, les "coupables" eux-mêmes, nous interpellent : "Ich war dir ein falscher Führer ! [nous crie le langage] Befreie dich von mir !" Mauthner souligne alors le rôle essentiel de la critique du langage comme libération de soi : "Die Kritik der Sprache muß Befreiung von der Sprache als höchstes Ziel der Selbstbefreiung lehren." (t.1, p.656-657)

Il est fondamentalement impossible de réformer le langage ; il faut carrément l'abandonner. Cette politique du pire, ce désespoir total est l'aboutissement d'une extrapolation quasiment mystique des thèses de Mach : le physicien s'était contenté d'exprimer l'irrécupérabilité du Moi (insauvable) à travers la continuité des êtres et des choses. Mauthner introduit un langage religieux spécifiquement agnostique en parlant de "rédemption" : expier la faute pour se faire pardonner, mais de qui... ? Il faut se sauver d'être insauvable ; si l'on est sauvé, alors on existe. Pour être sauvé, il faut avoir commis une faute ; c'est le grand problème de la faute introuvable.



[1] Mauthner, F. - Beiträge zu einer Kritik der Sprache. Stuttgart : J.G. Cotta'sche Buchhandlung Nachfolger, 1901-1902, t. 1, p.606. Cette édition est citée dans les lignes qui suivent avec sa pagination.

dimanche 4 juillet 2010

Somnambules

Hermann Broch a perçu l'Ulysse de Joyce comme un rempart contre le stéréotype, contre le kitsch en littérature ([1]). La démolition de l'expression, c'est aussi celle, pour reprendre les termes de Lord Chandos, de "... tous les jugements qu'on émet d'ordinaire à la légère et avec la sûreté d'un somnambule..." ([2]). (Les "Somnambules" sont aussi des "Irresponsables" !) Dans la Mort de Georges, Beer-Hofmann évoque les anneaux de la chaîne de la pensée, qui se détachent - ponts jetés sans piliers, pensées somnambules ([3]). La rupture de la chaîne n'est pas totale : elle laisse sournoisement se développer l'association d'idées, caractéristique entre autres de la mentalité schizoïde. L'enchaînement n'est plus cohérent, ou plutôt il est caractérisé par une nouvelle forme de cohérence qui échappe au raisonnement raisonnable, à la raison connue de la raison. La schizophrénie de Chandos aboutit à l'extase, à l'union du Moi et du non-Moi, celle-là même que Broch a pu rechercher dans une oeuvre-symbole, dans laquelle il a tenté de "re-produire", de "re-présenter" le monde. Et ce, dans la logique alogique du rêve qui se retrouve dans la mort. Un rêve ? questionne Beer-Hofmann à propos de Paul : mais s'il ne s'était pas réveillé ? Si la mort l'avait surpris à la fin du rêve, et tout transformé en réalité ? ([4]). Monde nocturne, double du diurne ([5]), miroir, reflet du leurre...Il existe même une troisième vie, au-delà du monde diurne-nocturne, ce dernier ne faisant qu'un et n'étant finalement que celui de l'homme organique. Le troisième monde, la troisième vie, Beer-Hofmann les définit comme ceux des "pressentiments" ([6]), impalpables, inorganiques, ne se rattachant à rien qui soit visible, audible ou sensible, ni même concevable en vertu de la raison raisonnable. C'est un peu, chez Roth, le monde de Tarabas : un hôte sur cette terre : "...il se plaisait parfois à cette idée qu'il était lui-même déjà mort ; tout ce qu'il voyait alors se produisait dans l'au-delà ; et les autres, les morts, étaient tout aussi sûrement entrés dans une troisième vie que lui-même dans sa seconde." ([7]) Le reflet, qui caractérise l'écriture de Broch, va faire sombrer l'auteur dans des apories angoissantes, même si, à certains égards, le désir d'infini est satisfait dans le symbole de la finitude que constitue l'oeuvre littéraire : unité idéale, platonicienne.



[1] Rabaté, Jean-Michel. - Lectures critiques de Hermann Broch, James Joyce et Ezra Pound (après Ulysse : autour de Finnegans Wake, la Mort de Virgile et les Cantos). Thèse d'Etat sous la direction de Hélène Cixous. Univ. de Paris VIII ; 14 janvier 1980.
[2] Hofmannsthal, H. - Lettre de Lord Chandos et autres
essais ; trad. de Albert Kohn et Jean-Claude Schneider. Paris : Gallimard, 1980 (Du monde entier), p. 80
[3] Beer-Hofmann, Richard. - La Mort de Georges ; trad. Jacques Le Rider. Paris : Ed. Complexe, 1990, p. 13
[4] Ibid., p. 160
[5] Ibid., p. 178
[6] Ibid., p. 179
[7] Roth, Joseph. - Tarabas ; trad. Michel-François Demet. Paris : Seuil, 1990 (Points. Roman ; R389), p. 41

jeudi 8 avril 2010

Chef et sens

La crise de 1918 suscitée dans le monde germanique par la défaite et l'avènement des idéologies révolutionnaires, favorise les vues "positivistes" et affranchit l'homme nouveau des valeurs anciennes. Pour Broch, c'est aussi l'avènement de l'anti-platonisme. Le romantisme, tel que l'évoque le début des Somnambules, tente d'élever à un degré absolu les fondements de ce bas-monde, de conférer un indice infini aux valeurs finies (embellissement, ornement). Dans ce même roman, Broch confirme que "l'esthète représente le principe du Mal à l'intérieur du Romantisme" ([1]). Vu qu'au fond de nous-mêmes, nous ne sommes pas réellement dupes de la vacuité de cet esthétisme, vu que nos efforts comptables sont assez clairement des garde-fous que nous nous imposons parce que nous avons peur de nous-mêmes, il nous faut un paravent à notre lâcheté. Nous avons honte de notre lâcheté, il faut expier ; pour nous y aider, il nous faut un sauveur. En nous assistant dans notre expiation, il nous convainc de la justesse de notre action de défense, de notre action "esthétisante", de notre action "comptable", il excuse notre lâcheté, et c'est précisément ce que nous attendions de lui. "S'il existait un homme, écrit Broch dans les Somnambules, en qui tous les événements de ce temps se représenteraient symboliquement, dont la propre activité logique serait les événements de ce temps, alors, oui, alors même cette époque-là cesserait d'être folle. C'est sans doute pour cette raison que nous aspirons à avoir un Führer, afin qu'il nous fournisse la motivation d'événements que, sans lui, nous sommes contraints de qualifier d'insensés" (Somnambules, p. 48) C'est ce Chef qui va donner un sens à tous les segments. L'homme est fait de segments, l'histoire qu'il fabrique est faite d'événements qui sont aussi autant de segments incompréhensibles et fous. La discontinuité (la relativité) fait peur. Il faut unir les segments, les positions. La conscience n'est capable que d'une position à la fois. "Le monde n'est pas posé immédiatement par le Moi, il est une position médiate, opérée par celui-ci, il est “position de position”,“position de position de position” et ainsi de suite, dans une réitération infinie" lit-on dans les Somnambules (p. 270). Comme la conscience, du fait du Péché originel, vit dans le multiple (nous retrouvons au passage Empédocle et Orphée), elle a besoin de poser continuellement sa position. D'où un assemblage, une imbrication de positions finies qui font barrage à l'infini (pur et angoissant). A l'infini (métaphysique), on va substituer l'absolu (éthique), ornemental et rassurant. La globalité des positions finies s'épanouira dans l'absolu ; nous serons de ce fait épargnés par l'infini. Du moins le Chef nous aura-t-il aidés à mettre les oeillères qui conviennent.



[1] Broch, H. - Les Somnambules ; trad. P. Flachat et A. Kohn. - Paris : Gallimard, 1982, 2 vol. (L'imaginaire), t. II, 3e part., p. 242. Cette édition est citée dans les lignes qui suivent avec sa pagination.

jeudi 11 février 2010

Hermaphrodisme et polarité

C'est la femme qui apporte à l'homme toutes les possibilités, non plus à l'indicatif (rigide et mort) mais au subjonctif : assujettissement, être sujet, passif, au gré des circonstances ; être soumis, même avec masochisme, celui du fautif. Chez Robert Musil, tant dans les Noces que dans l’Homme sans qualités, les femmes vont jusqu'au bout de leurs possibilités alors que les hommes sont plus réservés et s'arrêtent toujours au dernier moment. C'est le coitus interrumptus permanent de l'homme qui ne cède pas à la tentation d'Orphée de se retourner et, ce faisant, de détruire. Cet homme anti-orphique, c'est celui de Sexe et caractère d’Otto Weininger, celui qui n'engendre pas, qui met un terme à la Jetztfolge, à la "Menschfolge" pourrions-nous dire, c'est l'homme polaire, pas l'homme du "milieu". Mais cet homme en soi n'existe pas. Il ne peut être ailleurs que dans l'utopie de l'hermaphrodisme, celui d'Ulrich et de sa sœur Agathe, que nous ne connaîtrons jamais, car la Connaissance passe par le langage et parce que celui-ci, à défaut d'être le Logos (en quête duquel erre le Virgile de Hermann Broch) ne peut décrire - ou faire vivre - cet hermaphrodisme.

dimanche 7 février 2010

Des codes perçus comme un semblant de sérénité

"Pouvez-vous distinguer – écrit Wittgenstein – dans un son continu la partie que vous entendez en ce moment de celle que vous vous souvenez avoir entendue ?...le problème est de trouver une étape intermédiaire pendant laquelle vous pouvez dire qu'à la fois vous entendez et vous vous souvenez" [1]. Frontière mouvante et floue du temps de l'écoute...

De même, la thèse court perpétuellement après l'antithèse...Pour affirmer que quelque chose existe, il faut savoir comment se présente cette chose dans le cas où elle est vraie et dans le cas où elle est fausse. Comme on ne peut savoir les deux à la fois, et vu que seule l'antithèse appuie la thèse, on ne peut rien savoir. Comme seule l'antithèse autorise la thèse et que la chose est nécessairement vraie puisque nous la concevons, l'antithèse ne peut exister (la fausseté), [Wittgenstein : "Si vous donnez une règle fausse, vous donnez une règle différente" [2]] nous sommes ramenés à une impasse fondamentale. Impasse que nous nous encourageons à dissimuler par l'illusion de la congruence. Cependant, écrit Bouveresse,

...même si l'hypothèse de la congruence -à certains détails près- des sensations engendrées dans des conditions identiques par la même chose dans des individus différents (les anomalies et les déficiences sensorielles étant naturellement mises à part) peut difficilement être mise en doute en pratique, il reste qu'il nous est, pour des raisons intrinsèques, radicalement impossible de nous assurer que cette congruence existe réellement, et il subsiste la possibilité de principe qu'elle soit une illusion complète sans que le langage et le comportement communs s'en trouvent affectés de façon perceptible. [3]

Karl Mannheim appuie, lorsqu'il rappelle qu'autrefois :

...it was simply assumed without further analysis that only that is necessary which is universally valid, i.e. communicable to everyone. Making these two synonymous, however, is not necessarily correct, since it is easily possible that there are truths or correct intuitions which are accessible only to a certain personal disposition or to a definite orientation of interests of a certain group. [4]

Ulrich, l’Homme sans qualités (qui se trouve lui aussi confronté au problème...) écrit à sa sœur Agathe: "Te rappelles-tu ce que j'ai dit de la reproduction (Abbildung) de la nature par l'esprit, du fait d'être image sans qu'il y ait ressemblance ?" [5] C'est peut-être l'image qui résulte des mots murmurés par le rêveur. S'il en accepte sincèrement le caractère relatif (en relation, mais pas totalement correspondant) et dynamique (mouvant, pour ne pas dire flou), le rêveur réveillé admettra la notion de modèle dynamique, d'interaction, l'objet n'étant possible que du fait de l'existence du modèle et réciproquement. La notion intermédiaire de code permettrait de sortir du solipsisme. Le code implique la théorie dépictive. On parlera de code d'interprétation vis-à-vis d'un champ articulé. Il y a des possibles (forme) et un figé (structure) et le code permet la dépictation (par image) à travers des relations. S'il y a un maximum de possibles, de courants qui passent dans les canaux relationnels, alors la forme est étayée par une structure, et le figé (vrai) se superpose au possible.

Il n'y a donc pas isomorphisme au sens strictement mathématique du terme (car alors on n'aurait jamais que des correspondances absolues, en permanence : "Si la concordance était parfaite, alors son concept pourrait être tout-à-fait inconnu." [[6]]) mais un isomorphisme occasionnel.

Autre signification du code : le code moral. Wittgenstein évoque la notion de responsabilité par rapport à l'utilisation du langage : "Lorsque j'emploie un symbole, je dois m'engager moi-même...si je dis que ceci est vert, je dois dire que d'autres choses vertes elles aussi sont vertes. Je m'engage à un usage à venir" [7] Ainsi doit-on se laisser conduire par le langage en adoptant une attitude qui n'est pas sans évoquer celle d'un somnambule.

"Il est amusant de remarquer, déclare Wittgenstein, que dans l’ordinaire de la vie nous n’avons jamais l’impression d’avoir à nous résigner à quelque chose en employant la langue ordinaire" [8]. Autant dire que nous sommes timorés et notre philosophe va nous secouer en s'attaquant notamment aux mathématiques de façon "vertigineuse". Ainsi que le fait remarquer David Pears, "il déclare simplement que le fait que les hommes s'accordent à reconnaître la validité de ces formules [mathématiques] constitue une réalité contingente, quelles que fussent les conséquences désastreuses qui pourraient résulter de leur désaccord, et que leur accord unanime constitue l'unique fondement de la logique et des mathématiques." [9] Autrement dit, cet accord unanime existe du fait qu'"on" a peur des conséquences désastreuses et l'"on" assimile indûment cette peur à la volonté d'éviter une erreur. Wittgenstein prétend que, en dépit des conséquences désastreuses, ce ne serait pas une erreur d'envisager une autre manière d'enchaîner logiquement les choses ou les faits que celle qu'utilisent nos mathématiques : ce ne serait pas une erreur, et c'est cela qui est vertigineux, le fait d'affirmer que ce ne serait pas erroné.


[1] Wittgenstein, L. - Les Cours de Cambridge (1930-1932), ) ; ed. Desmond Lee, trad. Elisabeth Rigal. Mauvezin : TransEurop Repress (T.E.R.), 1988 (TER bilingue), pp. 80-81

[2] Ibid., p. 104

[3] Bouveresse, J. - Le Mythe de l'intériorité l'intériorité : expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein. Thèse d'Etat, Paris I, Dir. Yvon Belaval, 1975, p. 42

[4] Mannheim, Karl. - Ideology and utopia. London : Kegan, 1936, p. 149

[5] Musil, Robert. - Der Mann ohne Eigenschaften ; hrsg. von A. Frisé. Hamburg : Rowohlt, 1952, p. 1182, cit. et trad. p. Bouveresse d'après Ph. Jaccottet, in : Le Mythe de l'intériorité, pp. 144-145

[6] Wittgenstein, L. - Zettel. Oxford : Blackwell, 1967, paragr. 430, repris par Bouveresse, op. cit. p. 397

[7] Wittgenstein, L. - Les Cours de Cambridge (1930-1932), p. 43

[8] Wittgenstein, L. - Notes sur l’expérience privée et les “ sense data ” ; texte établ. par Rush Rhees, trad. de l’anglais par Elisabeth Rigal. Mauvezin : Trans-Europ-Repress, 1989 (Coll. T.E.R. bilingue) p. 10

[9] Pears, D. - Wittgenstein, ; trad. Guy Durand. Paris : Seghers (Les maîtres modernes), 1970, p. 177

M.D.-B.