dimanche 17 juillet 2011

Wittgenstein : métaphysique, éthique, esthétique

Le Cercle de Vienne, explique Allan Janik, avait interprété le Tractatus de Wittgenstein à sa façon, en prétendant qu'il condamnait la métaphysique et l'éthique issues de propositions synthétiques a priori,

...propositions à la fois nécessaires et substantives, [qui] relevaient de l'impossibilité, au plan conceptuel. Toutes les propositions ayant un sens étaient susceptibles d'être reportées sur des tables de vérité. Par cette technique, on montrait, sans appel, que toutes les propositions nécessaires étaient dénuées de contenu informationnel et que, inversement, aucun énoncé apportant une information ne saurait être nécessairement vrai. Tout ce qui était vrai pourrait par ailleurs, le cas échéant, être faux. Il s'ensuivait que les propositions de la métaphysique, de l'éthique et de l'esthétique, qui revendiquaient le statut de propositions synthétiques a priori, étaient en fait dénuées de sens. [1]

Cette interprétation du premier Wittgenstein engendrait un terrorisme intellectuel violent qui voulait faire table rase de plusieurs siècles de pensée et d'expérience. En fait, à la grande déception de Neurath qui fut l'un des tenants de cette attitude, Wittgenstein a montré rapidement que son rejet de la métaphysique et plus exactement des propositions synthétiques a priori, avait un caractère éthique : pour lui, une proposition ne peut avoir de portée supérieure à celle d'un fait scientifique. Autrement dit, il souhaitait seulement relativiser la valeur de la proposition métaphysique, en montrant que le langage n'apportait rien à la morale, que celle-ci n'avait bien plutôt de valeur que lorsqu'elle était mise en pratique. En cela, il rejoignait Kraus, en condamnant le bavardage qui masque en fait le fondement utile de la morale.

Le dénominateur commun que l'on peut noter entre Kraus et Wittgenstein, réside en ce qu'ils ont pris l'un et l'autre le langage comme "Sehweise", laquelle différait nettement de celle de la majorité de leurs contemporains. Ils conçoivent tous deux qu'un problème puisse être envisagé sous différentes facettes, qu'il soit doté d'une signification "polysémique". Leur conception du langage et leur praxis respectives sont un exemple de l'épistémologie et de l'analyse déconstructivistes.

A l'instar d'A. Loos, Schönberg et Kokoschka, ils ont tenté d'une part, de s'exprimer d'une façon claire et dépourvue d'ornementation, d'autre part, d'avoir une perception du monde plus authentiquement "sociale" (au sens de : pertinence de la communication).


[1] Janik, Allan. - "Les Crises du langage", in : Revue d'esthétique, nouvelle série, n°9, 1985, p. 62